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L’histoire invisible : comprendre l’emprise dans la relation.

  • Tillia Benoliel
  • 11 sept.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 15 sept.

Certaines relations laissent derrière elles un silence épais. Pas celui qui apaise, mais celui qui isole. Ce sont des histoires où l’on s’éteint lentement, presque sans bruit, où l’on cesse de se reconnaître. Penser devient flou, ressentir devient lourd, choisir semble impossible. La réalité se tord sans qu’on puisse dire quand elle a commencé à se fissurer.

Sommaire

Quand le lien devient prison : une entrée dans l’emprise

L’emprise ne s’impose pas avec fracas. Elle s’infiltre. Elle prend la forme d’un lien intense, d’un attachement fort, parfois même d’un sentiment amoureux si profond qu’il semble impossible de le remettre en question. On parle souvent de relations toxiques, de manipulateurs, de pervers narcissiques. Mais l’emprise dépasse ces étiquettes. C’est une dynamique de domination qui s’installe dans la durée. Elle s’ancre dans le couple, dans la famille, dans l’éducation, parfois dans le milieu professionnel.

Contrairement au conflit, où chacun garde une possibilité de réponse, l’emprise crée un déséquilibre structurel. Un seul décide. L’autre s’adapte. Un seul impose les règles du jeu. L’autre s’efforce de les comprendre, puis de s’y plier. Cette relation n’a pas besoin d’éclats pour être destructrice. Les cris ne sont pas nécessaires. L’oppression peut être parfaitement silencieuse.


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L’érosion de soi : quand l’autre décide à notre place

Le piège se referme doucement. Les gestes deviennent contrôlés. Les paroles, mesurées. Le corps se tend, les pensées s’embrouillent, l’élan de vie s’affaisse. L’autre devient le centre de gravité. Il faut deviner ses attentes, éviter de déplaire, éviter de contredire. Une tension constante s’installe, sans relâche. Et un jour, sans forcement avoir été brutalisé·e, la personne dominée ne sait plus comment penser par elle-même. Beaucoup mettent du temps à comprendre. À nommer ce qui se passe. L’emprise n’arrive pas comme un éclair. C’est une pluie fine, persistante, qui efface lentement les contours de l’estime de soi. Il n’est pas rare de ne plus savoir pourquoi on a arrêté certaines activités, pourquoi certains liens se sont distendus, pourquoi les projets se sont envolés sans laisser de traces. Tout devient justifiable, excusable. Jusqu’à ce que le malaise prenne toute la place.


La personne sous emprise finit par se remettre en question en permanence. Elle s’excuse avant même d’avoir parlé. Elle doute de sa mémoire, de ses émotions, de ses perceptions. Elle cherche à anticiper les réactions de l’autre, à éviter le conflit, à se faire oublier. Parfois, même son propre corps commence à s’exprimer. Les douleurs s’installent, les nuits se fragmentent, l’appétit se dérègle, les tensions deviennent chroniques. Et le mental, lui, se déconnecte. Une sensation de vide intérieur s’installe. On regarde sa vie comme si elle appartenait à quelqu’un d’autre.

La famille sous emprise : un climat qui contamine

Dans le cercle familial, l’impact dépasse le cadre conjugal. Les enfants, eux aussi, sont aspirés par cette mécanique. Ils ne font pas que voir, ils vivent, ils respirent l’atmosphère de domination, ils absorbent les rapports de pouvoir, ils apprennent que le silence protège. L’image du monde qu’ils construisent est traversée par ces modèles déformés. Un père qui rabaisse leur mère ne transmet pas seulement une parole blessante, il façonne leur conception de la place de chacun. Certains chercheront plus tard à sauver les autres. D’autres répéteront ce qu’ils ont vu. Mais tous, d’une façon ou d’une autre, garderont une trace.

Survivre sous l’emprise : entre sidération et stratégies d’adaptation

Ce type de violence n’est pas toujours reconnu. Trop subtile, trop intime, trop dissimulée. Pourtant, elle marque profondément. Elle provoque des états de sidération, des troubles post-traumatiques, des réactions d’évitement, des comportements d’auto-anesthésie. L’alcool, les somnifères, les drogues, le repli sur soi ne sont pas des choix, ce sont des tentatives de survie. Pour échapper à ce qui semble insupportable, pour retrouver un peu de contrôle, même illusoire.


Sortir de l’emprise : un chemin, pas une décision

Quitter une relation d’emprise n’est jamais simple. Cela ne se décide pas comme on claque une porte. Ce n’est pas un refus, c’est un processus. Il faut du temps. Il faut d’abord comprendre, ensuite croire en cette compréhension, et enfin, accepter d’y renoncer. Beaucoup de personnes quittent puis reviennent. Ce n’est pas une faiblesse. C’est une étape. On ne sort pas de l’emprise comme on quitte une maison. On en sort comme on se relève d’un évanouissement. Le point de bascule arrive souvent quand le doute devient intenable. Quand une voix intérieure murmure que tout cela ne peut pas être normal. Quand le malaise devient trop fort pour être ignoré. Ce premier mouvement, infime, peut ouvrir une faille. Parfois, il suffit de quelques mots confiés à quelqu’un, d’un regard qui comprend, d’une écoute sans jugement. La sortie commence là : dans la parole rendue possible.

Mais reconstruire ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut réapprendre à sentir, à décider, à faire confiance à ses perceptions. Il faut aussi accepter les moments de chute, les retours en arrière, les pertes d’élan. On avance par fragments. On se réapproprie son corps, sa pensée, son autonomie. L’estime de soi, mise à mal, met du temps à revenir. Chaque petit pas est un acte de résistance.

Se reconstruire après l’emprise : retrouver sa voix, son corps, son rythme

Dans ce parcours, les proches et/ou la (le) thérapeute peuvent jouer un rôle essentiel. Pas pour donner des ordres ou imposer des solutions. Mais pour rester là. Pour écouter. Pour valider. Pour tenir la main sans tirer. Car rien ne se fait sous pression. La reconstruction est lente, délicate, mais elle est possible.

Il n’existe pas de bonne façon de sortir de l’emprise. Il n’y a pas de trajectoire parfaite. Ce qui compte, c’est le mouvement. La direction. Et le fait de ne plus être seul·e à porter ce qui a été vécu. Il n’y a pas de honte à avoir été pris dans une relation d’emprise. Il n’y a que du courage à commencer à s’en libérer.


Ce chemin-là est long, mais il conduit à une chose essentielle : la réappropriation de soi. De sa voix, de son espace, de son rythme. Se remettre debout, c’est parfois apprendre à marcher autrement. Mais c’est marcher à nouveau.



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